“J’ai toujours voulu être actrice. Toujours. Et j’ai toujours voulu jouer des hommes. Je crois qu’enfant je me disais: ils blessent leur genoux sans qu’on ne leur dise rien, ils agissent, ils ont des responsabilités, ils montent sur des chevaux avec fougue et impatience, ils font face à leur violence et leur contradiction, ils se battent avec des épées, ils trahissent et fomentent, ils sauvent, ou encore ils parlent longtemps sans qu’on leur coupe la parole. 

Un jour j’ai joué un Prince. Mais on m’a crevé les yeux. Alors j’ai pensé que ça n’était pas mieux. Et puis finalement il m’est apparu que le problème  n’était pas de jouer une femme, mais qu’il manquait des rôles de femmes à interpréter. Des rôles variés. Des rôles de femmes qui agissent, qui combattent, qui parlent et qui ne meurent pas à la fin. Des rôles dans lesquels on pourrait avoir envie de s’identifier.

Renouveler les représentations. 

2018, un matin de septembre, j’ai eu envie de m’y mettre.

C’était neuf d’avancer à découvert, de dire “ je ” . L’émotion était si grande qu’elle supplantait toute description. Je versais des litres de larmes ou je souriais excessivement. Je n’arrivais pas à témoigner du monde comme je le voyais. Alors j’ai suspendu le cours de la réalité, j’ai créé une fiction – une femme qui parle du monde comme elle le voit et comme elle l’espère. Submergée par l’émotion elle parle quand même, et plus elle parle plus elle apprivoise l’émotion autant qu’elle même – Lucie Warrant est née. Un premier roman.

Et puis m’est apparue que Lucie Warrant serait la personne idéale pour faire parler toutes ces femmes qu’on n’entend pas ou trop peu, qu’elle pourrait faire voir que pas une femme ne se ressemble, qu’on peut être plusieurs dans une seule, que l’identité est en permanente recomposition, qu’un genre ne nous soumet pas à une place, qu’un corps ne nous soumet pas à un rôle et que contrer une quelconque domination passe par une égale description du monde.”